CHAPITRE XIV

 

CAL

 

 

Je suis assis devant un pupitre de la salle d’opération. Machinalement, mes doigts pressent des boutons et le grand écran semi-circulaire s’éclaire. Façon de parler, car il fait nuit dehors. J’éteins l’écran et commande à voix haute un verre de pezde. C’est un alcool de Loyi, la planète des Loys. Pas méchant, mais stimulant et efficace. Et j’en ai besoin. Je veux avoir une conversation avec le Cerveau. Auparavant, il faut que j’ordonne tout ça dans ma tête. L’enjeu est tellement important… Je suis sorti sans difficulté de l’injecteur hypnotique. Je sais maintenant quantité de choses, mais surtout je sais ce que je ne sais encore pas, autrement dit ce qu’il faut que j’apprenne !

Un petit grésillement dans la pièce, et un verre apparaît dans l’air sous une forme bleutée faite de lumière, un robot magnétique. C’est une vieille invention, on fait beaucoup mieux. ! Mais on en a mis en service dans les bases relais. Les Loys ont installé comme ça des relais dans l’espace. Et puis, en quelques endroits, ils ont ajouté des bases, sortes de dépôts de matériel et d’usines capables de construire n’importe quoi. La chance veut que ce soit le cas ici. Car la civilisation des Loys ayant disparu, comme me l’a dit le Cerveau, cet endroit est le dernier vestige de leur puissance, et il est intact. Cela dit, je ne sais pas encore ce qu’il contient.

— Hl 20314. j’appelle.

— Je vous écoute.

— Je souhaiterais prendre contact avec vous plus simplement que par votre matricule. Désormais, je vous appellerai Cerveau.

— Bien.

— Racontez-moi comment les Loys ont disparu ?

— Au cours d’une exploration sur une planète bleue, à l’opposé de Loyi, un équipage a rapporté des spores. Elles avaient envahi le système sanguin des Loys avant que les premiers troubles ne se fassent sentir. Lorsque le danger a été connu et identifié, il était trop tard. Il semble que ces spores microscopiques aient une vie intelligente, organisée. Au bout d’un certain temps, elles prennent possession d’un être humain, qui leur obéit totalement. C’est ainsi qu’une planète colonisée depuis très longtemps a soudain cessé de répondre aux Loys. Le stade suivant a été une hostilité à la race loy. Des massacres terribles ont eu lieu. Rien ne permettait par la suite de déceler un Loy envahi par les spores sans un sondage mental où son agressivité se révélait. Peu à peu, elles ont gagné tous les territoires sous contrôle, toutes les bases, poussant à chaque fois les Loys assujettis à éliminer toute trace de vie. Étant donné la puissance des territoires contrôlés, elles allaient bientôt détruire la vie dans une grande partie du Cosmos. Le Conseil a alors décidé de les empêcher de progresser en anéantissant leur agent de transmission : les Loys eux-mêmes. Tous les êtres humains encore lucides se sont supprimés.

J’ouvre la bouche pour m’étonner de cette obéissance, lorsque je comprends qu’il n’en a pas été question. Ces gens avaient seulement un niveau de conscience tel que la décision leur a paru la seule souhaitable. Voilà une chose que les Terriens n’auraient jamais été capables de faire, et j’éprouve maintenant une grande admiration pour ces êtres.

— Les spores étaient parvenues de la même manière dans les relais et les bases relais, poursuit le Cerveau, mais tous ont dû sauter, sauf celle-ci parce que le chef de base est mort brutalement d’un arrêt du cœur. Une manœuvre malencontreuse et trop rapide des spores comprenant probablement le danger. Les membres de la base se sont suicidés ou sont morts désintégrés, après être passés au sondeur mental comme j’en avais reçu l’ordre.

— Alors ces spores sont toujours ici ? je m’inquiète.

— Non. À la suite de recherches, il est apparu qu’elles avaient besoin d’un support vivant pour survivre elles-mêmes. Dès le début, j’ai stérilisé et isolé complètement la base. Aucun être vivant n’y a plus pénétré durant un millénaire et les spores sont forcément mortes. D’autant que tout cadavre, même d’insecte, a été désintégré. Elles n’ont pas pu contaminer cette planète. Mais d’un autre côté, les dernières consignes n’ont pu être exécutées et je n’ai pas pratiqué l’autodestruction.

Oui le Cerveau connaissait la consigne générale de s’autodétruire, mais son programme prévoyait qu’il devait en attendre l’ordre exprès du chef en titre de la base. Une précaution contre des messages pirates, je suppose. Car le Cerveau fonctionne parfaitement bien et peut agir selon les résultats de ses analyses. Finalement, ce sont les Loys eux-mêmes qui l’ont empêché de se détruire par leur excès de précautions. Mais j’avoue que j’aurais fait de même moi aussi. Je vais maintenant passer à la partie la plus délicate.

— Aujourd’hui, à qui obéis-tu ?

— A personne. Je continue à appliquer les consignes générales.

— Pourrais-tu en recevoir d’autres ?

— Oui.

— De qui ?

— De n’importe qui, mais à condition qu’elles ne portent atteinte en rien aux Loys.

— Mais tu sais qu’ils n’existent plus !

— Oui, mais mon programme est toujours dans mes banques.

Je frémis, ça vient !

— Je pourrais donc te fixer des consignes générales, dans ce cadre ?

— Oui.

— Bien. Autre chose : je voudrais recevoir une banque de technicien en Cybernétique. Dans combien de temps ?

— Maintenant.

Je me lève et reviens dans la grande pièce.

 

*

 

J’ai l’impression que cette fois mon réveil a été un peu plus long. J’aurais peut-être dû me reposer avant. En tout cas, je possède maintenant quantité de connaissances en matière de robots, d’ordinateurs et de cerveaux. Suffisamment pour la suite de mon plan. Je reviens dans la salle d’opération.

— La base contient un matériel de quel genre ? je reprends.

— La liste est très longue et incomplète, puisque nous pouvons tout fabriquer, tout construire. Le mieux serait que vous absorbiez une petite banque de connaissance de la base relais ; c’est ce que nous faisons en général.

— Mais cela ne risque pas d’user une partie de mon potentiel ? Je n’ai pas la capacité des Loys !

— Oui, vous pouvez encore absorber trois banques, plus celle de la base.

— Et ce sera fini ?

— Jusqu’à ce que votre mental ait totalement assimilé les connaissances, oui. Par la suite, vous pourrez en recevoir probablement de temps à autre, mais avec prudence.

— Je souhaiterais maintenant vérifier mes nouvelles connaissances, et vous donner deux consignes générales, sans qu’elles ne soient enregistrées dans les banques. Faites-moi conduire au réceptacle manuel de ces dernières.

C’est là que tout va se passer… Comment va réagir le Cerveau ? En principe, il ne doit pas refuser, puisque je n’ai aucune hostilité envers les Loys. La demande est un peu bizarre, puisque je pourrais pratiquer la même chose d’ici en ordonnant que ces consignes ne figurent pas dans les banques générales, mais il ne doit pas se méfier pour autant.

— Suivez le robot magnétique.

Il s’est décidé. Maintenant, il faut espérer que mes connaissances en cybernétique vont être suffisantes pour comprendre très vite où se trouve la commande que je cherche.

Je suis la boule bleutée qui se déplace à hauteur de mes yeux. Nous enfilons une série de couloirs et passons deux colonnes verticales magnétiques. Une sale impression. Le corps est retenu magnétiquement dans des tubes de trois mètres de diamètre. Le passager aperçoit un vide sans fin sous ses pieds…

Nous pénétrons enfin dans une salle située très loin dans le sol. C’est une partie des banques mémorielles. Je m’approche des murs où sont fixées les boîtes. Chacune comporte l’énoncé de son contenu : c’est ce que je cherchais. Je fais mine de m’émerveiller en voyant tout cela. Bon sang où est-elle cette foutue boîte ? Pourvu qu’elle ne comporte pas une désignation anonyme, sinon je suis fichu !

La voilà ! J’ai failli sursauter, mais je passe devant sans m’arrêter. J’ai quand même eu le temps de lire : « Consignes particulières de contrôle de HI 20314 » ! Cette boîte est mon objectif. Il faut que je la fasse sauter de son logement.

— Une boîte vierge, je demande au robot magnétique en continuant ma visite.

En quelque endroit de la base où l’on se trouve, on est en contact avec le Cerveau et je lui parle d’ici :

— Je n’ai pas l’impression de connaître tant de choses ! Peut-être n’ai-je pas tout assimilé ?

— Il est arrivé à certains visiteurs d’assimiler lentement les connaissances de l’injecteur hypnotique, confirme le Cerveau.

— Je vais tenter d’enregistrer cette boîte manuellement, je lâche d’un ton léger.

J’arrive au bout du dernier mur, et je n’ai pas encore trouvé l’interrupteur que je cherche. Rien. Une affreuse déception. Des yeux, je cherche un logement libre pour glisser la banque que je vais enregistrer. Là-bas une série d’alvéoles est disponible et… Bon Dieu ! voilà le disjoncteur ! Il est placé en bas du mur, à ras du sol. Je vais avoir vingt-cinq secondes pour agir, d’après mes nouvelles connaissances, le temps que le Cerveau établisse un circuit de secours. Juste, mais si je ne m’affole pas… Le robot revient, apportant une boîte neuve et je vais vers la rangée vide. Ouvrant la boîte, je réfléchis et je sélectionne les divers contacts. J’agis lentement, comme si je devais réfléchir, alors que tout est limpide dans ma tête.

D’un mouvement naturel, je m’appuie contre la paroi, et brusquement mon pied droit se relève et bascule l’interrupteur vert. Un claquement sec et tout s’éteint ! J’ai coupé toute vie à la base… Le robot magnétique perd sa luminescence, doucement.

Je fonce vers le mur où se trouve la banque des consignes particulières du chef de base, l’arrache frénétiquement et glisse la mienne à la place. Puis, avec les dernières miettes de lumière du robot, je plonge vers l’interrupteur que je branche à nouveau. Mon cœur bat la charge. Si jamais j’ai dépassé les vingt-cinq secondes de sécurité, je suis fichu.

La lumière revient et… rien ne se passe.

— M’entends-tu ? je demande au Cerveau.

— Oui.

La réponse est venue normalement. En fait, la banque que j’ai posée ne comprend qu’un branchement de contrôle. Je n’ai pas eu le temps de faire autre chose. L’important était d’ôter celle de l’ancien chef de base, d’annuler sa domination.

— Tu sais que je te prends sous contrôle total.

— Oui.

Ça a marché !

Dès que je suis calmé, je demande une nouvelle boîte au robot et j’y enregistre l’ordre de passer le Cerveau – et par conséquent la base – sous le contrôle de mon empreinte biologique. Parce que pour l’instant, le Cerveau obéit à n’importe qui, puisque je n’ai fait qu’enlever son obéissance au chef de la base et aux consignes que celui-ci lui avait données. Je pose la nouvelle banque dans un logement et enlève celle que j’avais posée il y a trois minutes. Désormais, toute la base est à moi. Encore une précaution à prendre, tout de même, puisque je ne sais pas ce que le chef de base avait donné comme consignes particulières.

— Tous les ordres précédents restent valables, sauf s’ils sont contraire à ma prise de contrôle, ou s’ils sont limitatifs. Cependant, avant de les effacer, tu me les feras passer dans la salle d’opération où je remonte.

— Bien.

De nouveau assis dans le fauteuil de la salle, je songe qu’il faudra supprimer le disjoncteur et trouver un autre système, je ne veux pas qu’on me fasse le coup que je viens de réussir !

— Je t’écoute, dis-je à l’intention du Cerveau.

— Les robots de combat sont forcément animés par un Loy, dit la voix.

— Annulé. Par moi, désormais.

Je ne sais pas encore ce que sont ces robots, puisqu’il s’agit du matériel de guerre et que le cours de cybernétique que j’ai assimilé était du niveau de technicien, et non de technicien supérieur. Je verrai plus tard.

— Communique mon empreinte biologique à tout robot et enregistre de faire de même pour toute nouvelle mise en service ou construction. Je veux être obéi de tout.

— Bien.

— Autre chose ?

— Les sondages spatiaux et messages réguliers en direction de Loyi. L’appel de détresse.

— Annulés, le silence.

— Bien.

— Au cours de mon prochain passage sous l’injecteur hypnotique, je veux que tu acquiers complètement ma langue maternelle et celle des Vahussis. A l’avenir, je te parlerai dans une de ces trois langues. Si je te donne un ordre visant ma sécurité propre ou celle de la base, contraire à tes instructions, un mot code devra figurer dans la phrase. Sinon, c’est que je serai moi-même sous contrainte et tu devras prendre toutes les mesures pour t’assurer de ma personne et me protéger. Ce mot sera…

Je cherche et me souviens de la date de mon départ de Terre : 19 juillet.

— … Sera juillet,

— Bien,

— Chaque fois qu’une consigne prévoit une exécution, ou un ordre d’exécution, exclusivement par un Loy, tu effaces cette précision et la remplaces par mon empreinte. Maintenant, j’ai l’intention d’absorber les connaissances de technicien en électricité, de pilote intergalactique et de chef de base adjoint. Ces connaissances sont-elles accessibles pour mon cerveau ?

— Oui, mais lentement.

— Tu vas alors me les faire absorber. Tu veilleras aussi à mon bon état physique et mental, en prenant toute décision dans ce sens.

— Bien.

Je me lève et passe une nouvelle fois dans la salle d’acquisition des connaissances.

 

*

 

Je me réveille frais et dispos. Basculant les jambes hors du filet magnétique, je vais m’asseoir dans le fauteuil de la salle d’opération.

— Comment se comporte le secteur des mesures de radiations stellaires ? je demande machinalement avant de m’apercevoir de ce que je viens de dire…

Tout est tellement ancré en moi que j’ai naturellement épousé les préoccupations d’un chef de base adjoint. Je sais que c’est un secteur à surveiller.

— Tout est en état, rien à signaler.

— Dis-moi, depuis combien de temps le dernier Loy de la base est-il mort ?

— 17584 ans.

— Quelles sont les chances pour qu’il existe des survivants encore quelque part ?

— Pratiquement nulles.

Je sais tout de la base par la petite banque destinée aux visiteurs. À cette masse de connaissances que je viens d’acquérir se mêle ma formation de Terrien. Rien d’impressionnant, d’ailleurs ; une façon de voir, plutôt. Il y a autant de différence entre les Loys et les Terriens qu’entre ceux-ci et les Vahussis ! La civilisation loy n’a pas suivi la même évolution que la Terre. Ses débuts ont été assez lents et ensuite l’industrialisation s’est faite par l’électricité. Elle est à la base de leur technologie.

— Cerveau, j’ai faim !

— Que voulez-vous ?

C’est vrai, il y a le choix : des tablettes vitaminiques ou des plats typiquement loys.

— Tu vas envoyer un robot, la nuit prochaine, chercher des fruits d’arbre à pain, et une antilope-léopard. On en prélèvera la peau qui sera traitée, et la viande, congelée pour mon usage. Je la veux grillée en surface seulement. Pour l’instant, fais-moi apporter des tablettes et de l’eau.

— Bien.

Ces robots, que je connais bien – comme tout le reste désormais – sont d’extraordinaires réalisations. Mais j’ai l’intention de faire autre chose.

— Je veux que l’on commence la fabrication d’une nouvelle série de robots à l’image des Vahussis. Le tissu extérieur devra avoir l’apparence exacte de leur peau. Je veux des copies parfaitement ressemblantes, avec des visages mobiles, tels qu’ils puissent passer pour des humains Chaque robot sera pourvu d’un cerveau électronique et de banques mémorielles dont je fournirai les éléments, d’un désintégrateur et d’un projecteur très haute tension qui puisse électrocuter.

Ces projecteurs produisent un flux électrique modulé, allant de la tension désagréable à l’électrocution pure et simple. C’est une arme qui permet de graduer l’intervention, alors que le désintégrateur, que nous ne connaissons pas sur Terre, transforme la matière touchée en énergie électromagnétique.

Le premier robot Vahussi construit sera à mon service. Je veux que l’on entreprenne la miniaturisation des banques afin que chaque robot puisse en contenir un nombre important. Combien de temps faut-il pour cela ?

La remise en route de la production allonge les délais. Une première tranche de vingt robots pourra être prête dans une semaine.

D’ici là, fais-moi remettre en état un dijar, et qu’il reste en veille permanente ; et aussi, un module d’exploration ; tout de suite, lui. Et envoie-moi un robot serviteur.

Les dijars sont des fusées de combat, ce qui se faisait de mieux sur Loyi. Elles emmènent généralement dix hommes d’équipage mais, en automatique, peuvent être dirigées par un seul homme, tout étant asservi à un cerveau électromagnétique commandé par le pilote commandant de bord. Quant au module, c’est une sorte d’œuf, ou plutôt de ballon de rugby, destiné à des équipages de deux ou trois personnes, pour les explorations planétaires ou spatiales. Son équipement est plus défensif, mais très varié. J’ai envie de m’offrir un petit tour dans l’espace. Une pirouette de bonheur.

Voilà le robot serviteur. Les boules bleutées sont en quelque sorte les mains et les doigts du Cerveau, tandis que les Loys avaient des robots mécano-magnétiques. Celui-ci est une boule métallique, portant son numéro : 205, peint en chiffres blancs. Il peut faire quantité de choses par l’intermédiaire de projections magnétiques, aussi bien aider à enfiler un vêtement qu’ouvrir une porte, ou servir à table. Extérieurement, un ordre comme « donne-moi une fourchette » est suivi de l’ouverture d’un tiroir et le vol d’une fourchette qui vient aboutir dans votre main. Impressionnant, au début !

— 205, tu ne me quitteras plus jusqu’à nouvel ordre.

— Bien.

Sa voix est beaucoup plus désagréable que celle du Cerveau, plus métallique. Il ne sert d’ailleurs que de relais. Une question de moi est retransmise au Cerveau qui lui donne par ondes les indications pour obéir, et c’est finalement le Cerveau qui me répond par son intermédiaire. Les robots Vahussis que j’ai mis en fabrication seront beaucoup plus indépendants et posséderont leur propre cerveau. Ils n’interrogeront le Cerveau de la base qu’au cas où leurs banques ne contiendraient pas les éléments de réponse.

— Cerveau, je veux que l’on mette en construction une salle de contrôle général à côté des appartements du chef de la base. Cette salle aura des équipements miniaturisés pour que je puisse tout contrôler seul et, éventuellement, sans ton aide. De même, tu vas mettre en chantier un second cerveau, moins complet que le tien, mais branché sur tes banques mémorielles. Il alimentera les tiennes au fur et à mesure des réponses. Il sera totalement indépendant de toi et n’aura pour tâche que de suppléer s’il t’arrivait des défaillances ou détériorations. Vos circuits de contrôle n’auront absolument aucun point commun, à l’exception d’une liaison analytique. Préviens-moi lorsque le module sera prêt, je vais me changer.

Je veux pouvoir diriger la base sans me déplacer. Elle a été conçue pour une équipe de techniciens et je ne veux pas avoir à me promener d’un bout à l’autre. En automatique » elle fonctionne très bien. Donc je peux la prendre seul en charge, s’il le faut.

Je me lève et ordonne à 205 de me conduire à l’appartement du chef de base.

Tout y a été maintenu en état et c’est un peu pénible. Je me borne à demander à 205 une combinaison spatiale et reste dans la pièce de travail qui comprend une table basse. Les Loys, un peu plus petits que les Terriens, avaient une morphologie identique. La principale différence était un visage beaucoup plus plat à partir des sourcils. Mais ils avaient l’habitude de travailler sur des tables très basses. L’appartement comprend six pièces ; je vais faire changer ça ; un bureau donnant sur la salle de contrôle, une chambre, une pièce de séjour et une espèce de salon me suffiront largement. Je vais faire abattre des cloisons pour agrandir mes quatre pièces, notamment celle de séjour : je lui veux 10 mètres de côté et une cheminée ! Sur Terre, le bois était devenu rare et une cheminée était un luxe, que je vais m’offrir ici…

Le robot revient avec une combinaison jaune-ocre qu’il m’aide à enfiler. J’ai l’impression qu’elle est douée d’une vie propre !

 

*

 

Assis aux commandes du module, encastré, chaque partie du corps moulée dans le fauteuil magnétique, j’attends le signal de décollage. Les sondeurs vérifient qu’il n’y a personne dehors. C’est encore la nuit. Je veux décoller la machine à la main. Mes connaissances de pilote intergalactique me permettent de piloter tout ce qui vole.

Voilà le signal. Je mets en tension les générateurs antigravité et le module s’élève, piloté par ma main tenant fermement une boule articulée au bout d’une tige sortant du tableau de bord, devant moi. C’est tout ce qu’il y a de simple : il suffit de déplacer la boule dans le sens où l’on veut aller, mélangeant au besoin descente et virage, etc. Une transmission magnétique fait le reste. Tout est magnétique chez les Loys… Je monte lentement à travers le tunnel, les yeux fixés sur l’écran mural circulaire du poste de pilotage qui me restitue la vision extérieure des 360°, en vert puisque c’est la nuit et que les projecteurs à ondes sont branchés.

Je suis sorti. Un coup d’accélération de la main gauche. Sur l’écran, je vois apparaître une boule bleue – la planète – qui diminue à vue d’œil ! Fantastique, cette accélération ! Et je n’ai rien senti ; un effet secondaire des générateurs antigravité. Encore une chose ignorée sur Terre, même si l’on songeait depuis longtemps à utiliser cette énergie gratuite qu’est la gravité, ou la pesanteur, comme on veut. Au fur et à mesure que l’on s’éloigne de la planète, les générateurs sont de moins en moins puissants, puisque la pesanteur diminue, et j’allume les propulseurs à énergie. La main sur la poignée de commande, je décris des cabrioles dans l’espace, puis mets les deux tiers de la puissance. J’atteins très vite la vitesse subluminique ! Phénoménal ! Je suis enthousiaste et je chante, je hurle plutôt, dans le poste de pilotage… J’ai une telle puissance entre les mains : un roi, un empereur, un dieu ! Avec ça, je pourrais… je pourrais…

Une brusque lassitude me tombe sur les épaules. Que puis-je ? Aller sur Terre ? Même si je savais où la trouver, après des millénaires d’errance dans l’espace, au hasard, que trouverais-je ? Des débris. Je retrouve une colère vieille de trois ans, quand j’ai appris que la folie humaine avait assassiné une espèce… Dieu ! pourvu que les Vahussis soient moins bêtes, moins méchants.

Ah ! je voudrais les aider, faire qu’ils réussissent leur évolution, leur éviter toutes nos erreurs. Et voir surtout, voir ce qu’ils sont devenus. Ce qu’ils vont devenir.

Et, brusquement, la solution est là.